École

Dégun sans stage : un engagement pour les collégiens des quartiers prioritaires

Alors qu’Elisa, Fayel et Naël, trois collégiens marseillais, découvrent cette semaine les couloirs de Centrale Méditerranée, l’occasion est toute trouvée de revenir sur « Dégun sans stage ». Depuis 2017, ce dispositif unique met en relation jeunes des quartiers prioritaires et professionnels engagés, pour que tous les collégiens et collégiennes aient accès à un stage d’observation de qualité. Rencontre avec Sophie Dominique, responsable du dispositif et coordinatrice du Labo Sociétal.
Dégun Sans stage

Dégun sans stage, qu'est-ce que c'est exactement ?

En troisième, les élèves doivent effectuer un stage obligatoire de 5 jours dans une structure associative publique ou privée. C’est souvent une première expérience dans le monde professionnel, qui peut affirmer ou infirmer un projet d’avenir.

La dernière étude de l'INJEP le montre : les jeunes scolarisés en réseaux d’éducation prioritaire rencontrent des obstacles structurels pour décrocher leur stage d’observation, également dans les quartiers prioritaires de Marseille.

Tout le monde n’a pas la chance de posséder un réseau professionnel, des soutiens, et c’est précisément là qu’intervient Dégun sans stage.

Ce dispositif, porté par le Labo Sociétal de Centrale Méditerranée, accompagne 17 collèges marseillais en éducation prioritaire pour que + de 1000 jeunes soient accompagnés dans leur projet d’orientation et qu’environ 350 trouvent chaque année un stage qui leur correspond. Pour cela nous profitons du réseau d’entreprises que nous avons bâti au sein de notre grande école d’ingénieurs et nous leur ouvrons les portes de ce riche carnet d’adresses.

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Un accompagnement personnalisé...

Chaque année, l'équipe du Labo sociétal mène plus de 50 heures d’ateliers dans les collèges pour aider les élèves à se repérer parmi les offres de stage, à se positionner et à préparer leur démarche.

En complément, le Labo sociétal organise un Forum des métiers, le prochain aura lieu le 11 mars 2026, pour permettre aux collégiens de rencontrer une diversité de professionnels, découvrir leurs parcours et ouvrir leurs horizons.

Mais Dégun sans stage ne s’arrête pas à une simple mise en relation : le Labo sociétal suit l’intégralité du parcours : de l’édition des conventions de stage jusqu’à la signature. « Puis on suit les collèges pour vérifier que les familles donnent leur accord pour le choix de leur enfant, acceptent que ce-dernier effectue un stage parfois un peu loin, bref on s’assure que tout se passe bien », détaille Sophie Dominique.

Pourquoi un suivi aussi rigoureux ? « Il y a tellement d’aléas, d’administration, d’oublis de signature… On ne veut pas que le jeune passe à côté d’une opportunité professionnelle pour des raisons administratives.»

... et des résultats !

Cette méthode porte ses fruits : avec un taux de conversion de 70 %, Dégun sans stage affiche un record à l’échelle nationale pour les dispositifs d’aide au stage de troisième. La fidélité des partenaires en témoigne également : deux tiers des entreprises renouvellent leur engagement année après année et un seul collège a quitté le navire en huit ans. « C’est une recette qui a fait ses preuves », sourit Sophie.

Dans chacun des 17 établissements, un enseignant référent fait le lien avec l’équipe du Labo sociétal et les élèves, tandis que les professeurs principaux choisissent les offres les plus adaptées à leurs élèves. « Nous voulons qu’un stage proposé soit pourvu. Ça nous prend du temps, mais vu la qualité des propositions, ça vaut le coup ! »

Equipe Labo sociétal et stagiaire Dégun sans stage devant le bâtiment de Centrale Méditerranée

Un dispositif à la croisée des mondes, comme des quartiers de Marseille

« On fait se rencontrer différents mondes : le monde de l’éducation nationale, le monde de l’entreprise et nous au milieu », résume Sophie Dominique. Et parfois, cette rencontre oblige à quelques remises en question.

L’anecdote du secteur bancaire en est l’illustration parfaite. « On avait un jeune très motivé et une tutrice qui l’était tout autant. Au départ, le service RH exigeait un dossier conséquent à monter. On a essayé de leur expliquer que c’est un simple stage d’observation, et que le collégien n’aurait accès à aucun élément dans le système. » Ces dossiers excluaient de fait ceux qui n’avaient qu’un titre de séjour.

L’histoire aurait pu s’arrêter là, mais grâce à la persévérance de la tutrice de stage, du principal du collège et de l’équipe de Dégun sans stage, le service RH a finalement accepté de changer son processus et le stage a eu lieu.

Construire un futur choisi

En cassant ces plafonds de verre, nous avons le sentiment de repousser peu à peu les limites, de faire évoluer le cadre des entreprises et aussi plus globalement de la société. Parce que ces jeunes motivés, ce seront les professionnels de demain. À qui on souhaite un avenir brillant dans un domaine qu’ils auront choisi.

Sophie Dominique

Un vrai stage « pas comme dans les séries TV »

« Certains fantasment sur des métiers qu’ils ne connaissent que par écrans interposés. Par exemple, on a des élèves qui s’imaginaient qu’un avocat plaidait toute la journée au tribunal et qui ont découvert qu’il fallait lire de nombreux dossiers, un suivi administratif…

Ça leur a permis de se confronter à la réalité et parfois d’ajuster leur projet en fonction. D’autres jeunes s’imaginent qu’on a raté sa vie si on ne gagne pas 5000 € par mois. Il faut surtout questionner avec eux tout l’imaginaire d’une vie réussie et ça c’est une conversation qu’il est bon de démarrer dès la troisième, qu’importe le domaine. » explique Sophie.

Ces stages font aussi retomber la pression. Les professionnels qui partagent leurs parcours expliquent souvent qu’ils se sont réorientés, qu’ils ont évolué, ou pris une passerelle, bref que « Rome ne s’est pas faite en un jour ».

Ils dédramatisent, car les jeunes sont souvent très angoissés par des choix d’orientation qu’ils doivent formuler de plus en plus tôt.

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Quels sont les secteurs les plus prisés par les jeunes du réseau de l'éducation prioritaire (REP+) ?

C’est étonnant comme les années ne se ressemblent pas. « Cette année aucune jeune femme ne nous a sollicité sur la petite enfance ! Par contre, nous avons toujours beaucoup de demandes sur la médecine, l’architecture, même si nous avons parfois des difficultés à trouver des professionnels qui se mobilisent. Le droit, le numérique, la finance, le paramédical, le BTP, ainsi que la restauration et les métiers de bouche sont plébiscités. » raconte Sophie.

Sophie Dominique

Cela me fait penser à cette élève qui a fait son stage dans un restaurant et qui, deux ans plus tard, a décroché son alternance dans le même établissement. Un stage de troisième c’est déjà un espace où tisser son réseau. 

Mais au-delà des trajectoires professionnelles, c’est aussi un premier pas vers l’émancipation. C’est la première fois qu’ils sont avec des personnes qui ne sont ni leurs professeurs, ni leurs animateurs sportifs, ni leurs parents.

Tenir une semaine avec des adultes qui ne gravitaient pas dans leur cercle, c’est déjà nouveau en soi. Certains doivent faire une heure de trajet pour rejoindre leur lieu de stage, donc forcément cela révèle leur capacité d’agir et les autonomise.

Sophie observe avec fierté : «Nous les voyons évoluer vers plus d’assurance, ils prennent la parole plus aisément, c’est fascinant leur transformation en 5 petits jours. »

Qu’est-ce que les professionnels (re)découvrent quand ils reçoivent un collégien en stage ?

L’équipe de Dégun sans stage a mené l’enquête pour le savoir. Ce qui ressort principalement, c’est que le stage oblige à repenser sa pratique, à retrouver l’essentiel.

  • « Accueillir un élève, c’est se confronter à des personnes qui n’ont aucune habitude de notre milieu, et ça nous oblige à expliquer simplement notre quotidien. »
    - Tutrice de stage du Théâtre Massalia.

L’aspect territoire et justice sociale, revient aussi : ils apprécient de s’engager auprès des jeunes, parfois du même arrondissement, et dans tous les cas de participer à une action aujourd’hui pour préparer demain.

  • « Je me souviens notamment d’un jeune qui n’avait pas forcément le profil 'classique' pour notre secteur, mais qui, au fil du stage, s’est découvert un réel intérêt pour notre activité. Il posait de plus en plus de questions, a même proposé des idées et est reparti avec une vraie motivation pour la suite. »
    - Tuteur de stage ingénieur Génie civil à l'IUT d'Aix-Marseille Université

Mais l’engagement n’est pas que symbolique. « En accueillant ces élèves, ils préparent leur propre marque employeur et font naître des vocations. » L’Assistance Publique des Hôpitaux de Marseille (APHM), par exemple, veut faire connaître les métiers du médical, et montrer que tout ne tourne pas autour de la chirurgie. Dans les prochaines années, l’APHM aura besoin de nombreuses nouvelles recrues, le stage d’observation devient ainsi un outil RH à moyen terme.

Nazim

Collège Belle de Mai

Pendant mon stage en rhumatologie à l’hôpital Sainte-Marguerite, j’ai découvert ce que cela signifie de travailler sans droit à l’erreur, avec patience et empathie. J’hésitais entre médecine et politique, et là c’est tout trouvé : ce stage a confirmé mon projet dans la santé.

Certaines structures scientifiques vont même plus loin et nous demandent, dans la mesure du possible, de transmettre leurs offres aux jeunes femmes et espèrent ainsi déconstruire les stéréotypes de genre liés à leurs métiers. « C’est le cas de la filière nucléaire d’EDF et d’un laboratoire de recherche à Saint-Jérôme avec qui nous travaillons. En effet, nous devons élargir l’horizon féminin le plus tôt possible. » souligne Sophie Dominique.

La concrétisation d’un engagement de territoire

Dégun sans stage n’est pas un dispositif isolé : il incarne pleinement la démarche de transformations responsables de Centrale Méditerranée. L’école affiche sa volonté d’être un acteur de son territoire et de porter les valeurs d’égalité, de diversité et d’inclusivité.

« L’ouverture sociale avec les jeunes publics, leur permettre d’avoir de l’ambition scolaire puis professionnelle… Dégun sans stage, c’est une concrétisation de cette stratégie d’égalité des chances propre à notre établissement scolaire qui compte aujourd’hui 30 % de femmes, et avec un accueil renforcé des boursiers et apprentis », résume Sophie.

Le dispositif s’inscrit dans un continuum : ouverture sociale, accès aux études supérieures, diversité dans le recrutement étudiant puis professionnel. C’est une manière de jouer pleinement son rôle d’ascenseur social et de permettre aux entreprises futures d’avoir des équipes aussi diversifiées que l’est notre société.

Stagiaires et Sophie Dominique

Carole Deumié

Directrice de Centrale Méditerranée

Tout est lié. il s’agit de responsabilité, de porter haut les valeurs d’égalité, de diversité et d’inclusivité pour montrer la voie de ce qu’est une grande école d’ingénieurs réellement engagée. 

Huit ans après son lancement, Dégun sans stage continue de faire ses preuves : près de 5000 élèves accompagnés depuis le début du projet, des entreprises fidèles, plus de 120 engagées chaque année, et des jeunes dont les trajectoires s’affinent jour après jour.

Le message aux professionnels est clair : s’engager avec Dégun sans stage, c’est investir dans l’avenir du territoire local et transmettre concrètement les codes du monde professionnel à ceux qui en ont le plus besoin. La preuve que l’égalité des chances n’est pas qu’un discours, mais un travail de terrain qui se joue là, tout près, avec les visages qu’on croise chaque jour dans le bus du matin.

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Le projet Dégun sans stage est soutenu par le Ministère de la Ville et par le Conseil départemental des Bouches-du-Rhône.

Pour aller plus loin

Dégun sans stage

Le Labo Sociétal

Démarche de transformations responsables

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