Pierre Boivin, ses recherches saluées par la médaille de bronze du CNRS
Ses travaux sur l’hydrogène lui ont valu récemment la prestigieuse médaille de bronze du CNRS.
Au cœur des défis de transition écologique actuels, l’hydrogène est une énergie surveillée de très près qui pourrait aider à décarboner la production d’énergie primaire.
Pierre Boivin a bien voulu nous en dire plus sur ses avancées théoriques et pratiques concernant la combustion du plus petit des atomes.
D’ArianeGroup au laboratoire de recherche jusqu’à la médaille de bronze du CNRS 🚀
Diplômé de l'École Polytechnique et de l’École royale polytechnique de Suède (KTH), Pierre Boivin réalise une thèse sur la combustion de l’hydrogène à l’Université Carlos III de Madrid avant de rejoindre l’industrie astronautique chez ArianeGroup. Il travaille alors sur la modélisation des moteurs de fusée et en particulier leur allumage.
L’ingénieur-docteur se réoriente ensuite vers la recherche académique et entre au CNRS en 2016. Il est maintenant responsable d’équipe au M2P2 et directeur adjoint de l’Institut de mécanique et d’ingénierie de Marseille (IMI) en charge des partenariats et de la valorisation. Avec son équipe, Pierre Boivin développe des modèles et des outils de simulation pour mieux comprendre et améliorer la combustion de l’hydrogène. "J’anime une équipe d’une vingtaine de personnes dont 5 permanents, un ingénieur de recherche, 10 doctorants et 5 post-doctorants."
L’hydrogène : portrait d’une molécule, petite, mais puissante !
L’hydrogène est souvent présenté comme le vecteur énergétique du futur. Légère, abondante et dotée d’une densité énergétique exceptionnelle, l’atome d’hydrogène fait décoller des fusées ! En effet, un kilogramme d’hydrogène peut produire autant d’énergie que 2,75 kilogrammes d’essence.
Hydrogène, dihydrogène, de quoi parle-t-on au juste ? Par abus de langage, on parle d’hydrogène (l’atome) pour évoquer le dihydrogène (la molécule). L’hydrogène se combine avec l’oxygène de l’air pour produire de l’eau et de la chaleur. On pourrait donc se dire “chouette une énergie inépuisable et non polluante".
C’est faux, explique Pierre : "bien que constituant 75% de la masse de l’univers, l’élément H est difficilement trouvable sur terre sous la forme H2".
Il faut donc bien considérer H2 comme un vecteur énergétique et non une ressource. Selon le mode de production, une couleur est associée à l’hydrogène, depuis le noir (issu) du charbon, au blanc (hydrogène naturel). L’hydrogène à l’état naturel existe donc, stocké en gisement sous-terrain. Mais on ne sait pas encore si on va réussir à le capter, car c’est très volatile.
L’essentiel de la production actuelle provient du vaporeformage du méthane (hydrogène gris). L’hydrogène vert, au sens large, est celui dont la production n’est pas émettrice de CO2 (excluant notamment hydrogène gris et noir). À l’heure où les ressources en gaz, charbon et pétrole se raréfient et contribuent à l’effet de serre entraînant les conséquences bien connues de dérèglement climatique, le dihydrogène demeure une énergie prometteuse que les chercheurs tentent d’apprivoiser et d’optimiser.
Hydrogène : Les défis du passage à l’échelle
Si l’hydrogène est souvent présenté comme l’avenir de l’énergie propre, le chemin du laboratoire vers l’application industrielle est loin d’être évident. « Aujourd’hui, un avion a les ailes remplies de carburant, ainsi que sous la cabine. Pour faire un avion à hydrogène, il faudrait un réservoir 3 à 400 fois plus volumineux. Ça demande de revoir en profondeur l’architecture complète de l’avion. » explique Pierre Boivin. Cet exemple illustre bien l’un des principaux défis de l’hydrogène : le stockage. À température ambiante, l’hydrogène est un gaz 15 fois moins dense que l’air, ce qui rend son stockage ultra-volumineux et complexe. Pour qu’il prenne moins de place, deux solutions existent :
1 kg. de dihydrogène occupe un volume de 11 200 litres dans les conditions ambiantes. Ce kilo de dihydrogène n’occupera plus que 23 litres à une pression de 750 bar, soit 750 fois la pression atmosphérique.
« L’hydrogène se liquéfie à -253 °C, 1 kilo de dihydrogène n’occupe plus alors que 14 litres. » Cependant, ce procédé exige des infrastructures coûteuses et des matériaux adaptés à des conditions extrêmes.
Dans le secteur de l’automobile, les défis sont tout aussi considérables. « On ne peut pas avoir un réservoir de 2000 litres dans une voiture, cela prendrait le volume du coffre et des sièges arrière », souligne Monsieur Boivin. Malgré ces contraintes, les progrès sont en marche et nous invitent à la patience. « Les premières voitures à hydrogène datent de moins de 10 ans, alors que cela fait 100 ans qu’on innove sur les moteurs à hydrocarbures ».
La combustion des hydrocarbures représente encore plus de 80-85 % des énergies consommées dans le monde, et c’est aussi le plus grand émetteur de CO2. « On peut optimiser, passer à l’hydrogène ou au biocarburant, mais arrêter la combustion de pétrole est pour le moment impossible », rappelle Pierre Boivin. Certes, l’hydrogène ne se substituera pas du jour au lendemain aux énergies fossiles, mais les perspectives n’en demeurent pas moins prometteuses. Si les défis de stockage, de coût et de sécurisation sont surmontés par les chercheurs, l’hydrogène pourrait devenir un pilier de la transition énergétique. Les travaux de recherche menés entre autres au M2P2 jouent en ce sens un rôle crucial.
Sécuriser l’hydrogène lors de sa combustion
« Quand j’étais élève ingénieur, je ne voulais surtout pas faire de la recherche. J’avais plutôt prévu d’aller travailler dans l’industrie » confie Pierre. Pourtant, c’est l’intérêt pour le travail et la diversité des sujets qui l’ont finalement réorienté vers le CNRS. Il encourage aujourd’hui les futurs ingénieurs à explorer cette voie et à profiter de la richesse des structures présentes sur le site de Centrale Méditerranée : « ne négligez pas les opportunités que les laboratoires offrent » !
La recherche, loin d’être isolée, est profondément liée au milieu industriel. « Les chercheurs ne travaillent pas dans leur coin sur un bureau poussiéreux (rire), on travaille avec beaucoup de grands groupes sur des problématiques hyper concrètes » souligne Pierre Boivin.
Pour lui, la recherche offre une exposition unique à une multitude de sujets différents, une diversité qu’il n’aurait pas pu trouver dans le secteur privé. « Nous travaillons sur l’aérodynamique, la découpe plasma, ou encore sur des chambres de combustion depuis la dizaine de centimètres à la dizaine de mètres ». La recherche est à la croisée de tous les chemins.
Et les 4 prochaines années ?
Pierre va piloter la chaire ANR industrielle Liberty avec Airbus, Safran et Fives Pillard.
L’objectif : accélérer le développement d’outils de simulation pour la transition hydrogène. « D’ailleurs on cherche à recruter dans le cadre de cette nouvelle chaire : on a plusieurs doctorants centraliens au labo. » À bon entendeur ! 😉
Le mot de la fin
Les recherches de Pierre Boivin, mais aussi de toute son équipe sur l’hydrogène s’inscrivent dans une démarche de transformation profonde de notre manière de concevoir nos ressources demain.
Alors que la transition énergétique devient une priorité mondiale, cette étude se révèle cruciale pour développer des solutions pérennes et sécurisées. Au-delà du succès académique, le témoignage de Pierre démontre à quel point la recherche est tournée vers la résolution de problèmes concrets, capables d’impacter l’industrie mondiale au complet.
Il ouvre des perspectives nouvelles pour les futurs ingénieurs, les invitant à explorer, et questionner l’hydrogène, mais aussi leurs choix, en phase avec qui ils sont et qui ils veulent devenir.