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Thomas Durt revient sur les découvertes historiques du physicien Peter Higgs

Le physicien britannique Peter Higgs, prix Nobel en 2013 pour ses travaux sur le boson de Higgs, une particule élémentaire considérée comme la clef de voûte de la structure fondamentale de la matière, est décédé lundi 8 avril, à l'âge de 94 ans.

Afin de lui rendre hommage, nous avons contacté Thomas Durt, professeur de physique quantique à Centrale Méditerranée et chercheur au sein de l’institut Fresnel. Il a bien voulu répondre à nos questions pour comprendre la portée révolutionnaire liée à la découverte du “Boson de Higgs” et pas que…

Crédit photographique : © 2008 CERN
Peter Higgs et l'accélérateur de particules de CERN © 2008 CERN

Mécanisme de création de masse ?

Le modèle de brisure de symétrie dont il est question ici explique comment les particules acquièrent une masse. Et cette masse a été conférée par une particule élémentaire, le Boson, dont l’existence a été prédite théoriquement par Peter Higgs, François Englert et Robert Brout (aussi appelé boson de BEH).

Évidemment, jusqu’à la confirmation expérimentale de l’existence du boson de BEH au CERN en 2012, tout cela était théorique.

On appelle aussi ce boson la « particule de Dieu ». En effet, elle est considérée comme la clé de la découverte des constituants élémentaires de tout l’univers. Celle qui fournit leur masse à de nombreuses autres particules, et permet de mieux comprendre les interactions a courte portée (faibles et fortes).

Comment qualifier plus précisément le boson de BEH, à quoi ressemble cette particule ?

Le boson de BEH est une particule sans charge qui confère une masse à d’autres particules élémentaires. C’est une « grosse » particule, dans le sens où elle est bien plus massive que les particules élémentaires auxquelles nous sommes habitués tels que le proton l’électron et le neutron.

« Il existe deux types de particules, les bosons et les fermions. La lumière est faite de photons, des bosons. Nous sommes faits d’électrons, protons et neutrons qui sont des fermions. On peut mélanger des bosons, mais pas des fermions. Par exemple moi je suis fait de fermions donc je ne peux pas traverser ma chaise, car elle aussi elle est faite de fermions. Les bosons eux vont pouvoir s’interpénétrer facilement, comme par exemple deux rayons de lumière. » Explique Thomas Durt, professeur de physique quantique à Centrale Méditerranée.

Crédit illustration : © 2012 CERN

Modélisation du boson de Higgs © 2012 CERN

Qu'est-ce qu'une brisure de symétrie ?

L’apport essentiel de Peter Higgs et des ses collègues est d’expliquer la brisure de symétrie permettant aux bosons d’acquérir une masse. De tels mécanismes ont été développés dans d’autres contextes par divers théoriciens : Yoichiro Nambu, Jeffrey Goldstone, Sheldon Glashow, et Philip Warren Anderson par exemple.

Il existe une analogie de brisure de symétrie assez simple à comprendre : imaginons une table ronde avec 10 bols de soupe et 10 cuillères. À un moment quelqu’un commence à manger. S’il prend la cuillère de gauche, tout le monde devra prendre la cuillère de gauche et s’il prend la cuillère de droite, tout le monde devra prendre la cuillère de droite, vu qu’il n’y a plus de cuillère à gauche.

Dans la théorie quantique des champs, les particules sont considérées comme des ondes dans un champ. (Image: Piotr Traczyk/CERN) 

Pourquoi est-ce que Peter Higgs ne pensait pas que l’on puisse faire cette découverte de son vivant ?

La découverte du boson de BEH a été rendue possible grâce à des collisions de particules générées par le grand collisionneur de hadrons (LHC) au CERN. Imaginez un anneau de 27 kilomètres de circonférence, formé de milliers d’aimants supraconducteurs et doté de structures accélératrices pour accroitre l’énergie des particules à chaque passage. Il fallait déjà être doté d’une telle infrastructure !

Par ailleurs, on ne peut pas « trouver » le boson de Higgs facilement. Il doit être produit au cours d’une collision de particules puis se désintégrer en d’autres particules qui peuvent alors être identifiées dans des détecteurs, grands comme des immeubles. Cette collision spécifique se produit rarement, environ une fois sur 10 milliards de collisions.

Cela a pris des années de recherche et de développement technologique pour construire le LHC et ses détecteurs, ainsi que pour obtenir suffisamment de données et enfin analyser les milliards de données produites par ces expériences. C’est si long que Higgs ne pensait pas que l’on puisse faire cette découverte de son vivant (source) !

Le mécanisme de brisure de symétrie qu’il avait proposé, avec Englert et Brout, a été confirmé avec la découverte du boson de BEH en 2012, après cinquante années de traque et des dépenses jamais engagées pour une expérience scientifique. Cette longue attente montre à quel point la recherche en physique des particules peut être exigeante et nécessiter des décennies de travail. « D’ailleurs quand j’avais 22 ans, j’ai fait mon mémoire avec Robert Brout, donc en 87. Cela faisait déjà 23 ans qu’il avait fait ce calcul. Il en avait déjà assez d’attendre en 87 et se plaignait que d’autres avaient déjà reçu leur prix Nobel. Mais il aura fallu attendre 2013, soit deux ans après son décès pour que le Nobel soit décerné. Malheureusement c’est souvent le cas. La recherche exige beaucoup de persévérance ».

Existe t'il des applications industrielles permises par la quête du boson de BEH ? 

Nous avons dit que le boson de BEH confère leur masse à d'autres particules élémentaires, et que ceci explique pourquoi les interactions fortes et faibles sont à courte portée. C'est le cas pour les interactions nucléaires (ou interactions fortes) par exemple qui sont à courte distance. Ces concepts étaient inconnus du temps de James Clerk Maxwell et Isaac Newton qui eux avaient étudié l’électromagnétisme et la gravitation, pour lesquels la portée de l’interaction est infinie.

Il a fallu toutes ces découvertes pour éclaircir les interactions à faible portée qui sont “médiéesˮ par des particules massives.

Bien que leur utilité immédiate puisse ne pas être évidente, ces recherches ont des implications profondes "Le CERN a pris plein de brevets, on utilise des accélérateurs dans les hôpitaux pour produire des rayons X, ou pour permettre des études du cerveau qui sont faites avec des substances radioactives.”

Aujourd’hui, les hôpitaux ont en effet leurs propres mini-accélérateurs de particules, qui leur permettent d’étudier entre autres le cerveau au travers d’une tomographie par émission de positons (PETscan). On utilise quotidiennement ces techniques pour voir ce qu’il se passe à l’intérieur du cerveau et comprendre son fonctionnement, par exemple quelles zones sont liées à la détection des couleurs, au langage, etc.

Mais surtout, si on n’avait pas découvert ce boson de BEH, « ça aurait posé problème », car entre temps, on avait découvert d’autres prédictions du modèle qui s’appuyaient sur cette hypothèse. Cette découverte permet de continuer et d’aller de l’avant vers toujours plus de sciences et d’explications de notre monde tel qu’on le connait.

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