Entreprise École

Evan Kervella (promotion 2018), cofondateur et directeur général de Chipiron, distingué par le classement Forbes 2022 "30 Under 30"

La nouvelle a fait le tour de l’École en moins de temps qu’il n’en faut pour dire Chipiron ! Evan Kervella (promotion 2018) apparaît dans le classement Forbes 2022 « 30 Under 30 » – domaine des sciences et de la santé – des trente Européens de moins de 30 ans, entrepreneurs et dirigeants, qui « ont le pouvoir de transformer les entreprises et la société », dixit le magazine. Evan raconte l’histoire en train de s’écrire de sa start-up, Chipiron. Derrière l’entrepreneur à succès, découvrez une personnalité atypique, déterminée, engagée et philosophe ! 

Interview de Evan Kervella

Evan Kervella et Dimitri Labat

Evan Kervella (à gauche) et son associé, Dimitri Labat, ont fondé Chipiron en mai 2020. L'IRM portable qu'ils développent, avec leur équipe, contribuera à mieux soigner les patients et sauver des vies.


Quel a été votre parcours depuis votre diplomation centralienne ?

Une fois mon stage de fin d’études achevé, en septembre 2018, j’ai pris quelques mois pour réfléchir à la suite et sédimenter les leçons de ce que je considérais comme l’échec de ma première start-up, Shorten, lancée en césure.

Je ne souhaitais pas poursuivre une carrière de data scientist : l’entrepreneuriat était une évidence. Seulement, à ce stade, je n’avais pas plus d’outils à ma disposition que lorsque j’avais lancé Shorten. Il fallait donc que quelque chose change dans mes conditions de vie pour qu’un succès entrepreneurial puisse se profiler.

Je suis rapidement arrivé à la conclusion qu’il fallait que je monte à la capitale (je vivais alors près de Bordeaux), où la scène entrepreneuriale était en train de se structurer. J’ai rejoint une start-up en tant que data scientist en mars 2020. J’y suis resté un an, le temps qu’une opportunité se présente. En janvier 2021, j’ai candidaté pour rejoindre la cohorte PA4 d’Entrepreneur First [ndlr : Entrepreneur First est un incubateur international d’origine britannique qui accompagne les talents de la deep tech]. Sélectionné, j’y ai rencontré, le tout premier jour du programme, mon futur co-fondateur, Dimitri Labat. 
 

Dimitri Labat est docteur en physique théorique de la matière condensée et directeur technique de la start-up. Chipiron ambitionne de rendre l’IRM accessible à tous et partout. Pourriez-vous détailler ce projet qui a levé plus de deux millions d’euros depuis la fondation de Chipiron, en mai 2020 ?
 

L’IRM (Imagerie par résonance magnétique) est la meilleure technique d’imagerie médicale. Elle donne le plus grand nombre d’informations au radiologue dans la vaste majorité des indications. Et, contrairement au scanner ou à la radiographie, elle est non-irradiante.

Cependant, les machines IRM sont très coûteuses (comptez environ 2 millions d’euros l’unité) et très complexes à installer : elles nécessitent une tonne d’infrastructures annexes. Cet encombrement est dû à l’utilisation de champs magnétiques intenses, générés par de gros aimants supraconducteurs situés au cœur de la machine.

Aujourd’hui, l’intensité du champ magnétique est le premier facteur impactant la qualité des images produites. À Chipiron, nous prenons le contre-pied de ce paradigme et créons une nouvelle génération de machines IRM fonctionnant avec un très faible champ magnétique, compensé par des capteurs quantiques ultrasensibles et une électronique froide.

Cette technologie quantique, appelée SQUID, pour Superconducting Quantum Interference Device, permettra de produire des machines IRM petites, portables et beaucoup moins chères, permettant leur accès partout et pour tous. Telle est notre promesse.
[ndlr : Squid signifie calamar en anglais. De là le nom Chipiron !]
 

À gauche, le docteur Fabrice Voisin, chercheur au CNRS, impliqué opérationnellement dans le projet ; à droite, le docteur Yacine Belkhodja, premier embauché à Chipiron. Tout près d’eux, le cryostat qui abrite le système de détection quantique : pièce maîtresse de l’expérience. 
 

En proposant une IRM portable, Chipiron permettra d’utiliser cette technique d’imagerie médicale en première intention, de l’embarquer dans des ambulances, de l’utiliser pendant une intervention chirurgicale (IRM peropératoire) et de la diffuser là où elle n’existe pas encore. Comment comptez-vous réduire le coût de l’appareil pour le rendre abordable ?
 

Précisément ! Nous passer des champs magnétiques intenses est la solution à tous les problèmes posés par l’IRM. Travailler avec des champs magnétiques mille fois moins intenses modifie complétement la structure des coûts et laisse envisager la possibilité de diviser le prix final par dix.
 

Votre start-up est soutenue par Bpifrance et quelques investisseurs privés, incubée par Agoranov et PC’Up et hébergée par l’École supérieure de physique et de chimie industrielles de la ville de Paris. Vous êtes également entourés du docteur Jean-Pierre Pruvo, radiologue et chef de service du pôle Imagerie et explorations fonctionnelles au CHU de Lille. Vous collaborez avec la Fondation Rothschild et trois laboratoires du CNRS en IRM, détection RF (radiofréquence) et électronique bas-bruit.
Tous ces soutiens ont-ils été aisés à obtenir ? 
 

Je ne dirais pas qu’ils ont été aisés à obtenir ! Mais la mission de la société nous aide à attirer la sympathie. Nous avons dû être convaincants, sans avoir à nous battre non plus !
 

Chipiron mobilise aujourd’hui une équipe de sept personnes. Recrutez-vous ?
 

En permanence ! Nous avons déjà recruté deux personnes supplémentaires et un stagiaire. Nous envisageons dix recrutements supplémentaires en 2023.
 

L’intérieur du cryostat. « Il est très proche des installations utilisées pour les ordinateurs quantiques, explique Evan. Le principe est plutôt simple malgré l’apparence complexe. Toute la structure ne sert qu’un but : refroidir les deux plaques dorées à 2 K (-271°C) tout en réduisant au maximum les vibrations.
 

Tout ce qui est en contact avec les plaques descendra donc à cette température, par conduction thermique. Notre puce quantique fonctionne dans ces régimes de température car elle est fabriquée à base de matériaux qui ne sont intéressants qu’une fois en état supraconducteur, en dessous de 7 K. »
 

Les IRM portables de Chipiron devraient être commercialisés d’ici 2025. D’ici-là, quelles sont les prochaines étapes ?
 

La route est jalonnée de résultats techniques. Nous venons de prouver la supériorité de nos capteurs comparés à l’existant. La prochaine étape naturelle sera l’obtention de premières images (à l’automne), puis leur amélioration. Ensuite il faudra passer d’un prototype de laboratoire à un produit fonctionnel et obtenir le marquage CE.
 

Qu’est-ce que cela fait de se voir dans un classement Forbes ? Chipiron était déjà répertoriée dans les « 100 start-up où investir en 2022 » du magazine Challenges. Pensez-vous que cette nouvelle visibilité médiatique facilite la levée de fonds que vous menez actuellement ?
 

Cela fait plaisir, je dois avouer que c’était un objectif personnel… Mais c’est un plaisir égotique, donc passager.

Le recensement dans le magazine Challenges attire des business angels en majorité. En revanche, je pense que le titre de Forbes Under 30 sera un gage de crédibilité aux yeux des venture capital américains [ndlr : investisseurs en capital-risque], renforcé par le titre de MIT Under 35 que mon associé a reçu cette année [ndlr : Dimitri Labat figure dans la liste des innovateurs européens de moins de 35 ans de la prestigieuse MIT Technology Review.]


Qu’auriez-vous écrit si vous aviez dû rédiger un rapport d’étonnement sur vos premières années de vie professionnelle ?
 

Si je devais souligner un aspect, je dirais que je suis étonné de la quantité de gens souhaitant « coacher », aider, conseiller des entrepreneurs en n’ayant jamais réellement entrepris eux-mêmes.
 

Qu’est-ce qui vous a paru (ou vous paraît) le plus simple et le plus compliqué à réaliser ?
 

Le plus simple : travailler dur.

Le plus compliqué : travailler intelligemment.


Ce que je veux dire, concrètement, c’est qu’il est aisé de tout faire tout seul, avancer à la vitesse de son enthousiasme, se satisfaire d’être indispensable à la société et travailler 15 heures par jour.

Ce qui est plus compliqué, à l’inverse, c’est d’identifier les actions au ROI le plus élevé [ndlr : Return on Investment], ne se concentrer que sur celles-ci et aller chercher du capital pour déléguer ou automatiser les autres tâches.


Le plus plaisant et le plus désagréable à faire ?
 

Le plus plaisant : stratégiser, envisager, planifier, déléguer.

Le plus désagréable : les opérations telles que :

  • La finance : factures, comptabilité, suite logicielle, paie, notes de frais…
  • La gestion : trésorerie, budgets, prévisions...
  • Le juridique.
  • Les RH : recrutement, évaluation ; de manière générale, veiller à ce que l’équipe fonctionne efficacement (faire en sorte que les gens se parlent).
  • L’office : s’assurer que l’équipe dispose d’installations, d’équipements et de logiciels adéquats…
     

Vous vous distinguez par une forte réflexivité. Quelle est votre philosophie en tant qu’entrepreneur ?
 

L’entrepreneuriat n’est pour moi qu’un moyen, celui d’exprimer mon individualité. Je souhaite atteindre la liberté financière, mais même sans cette perspective, je ferais ce que je suis en train de faire. Car, à mes yeux, mon activité n’est que l’expression de mes qualités propres.
 

Sur votre site internet, ravelkel.net, vous avez publié une série de courts essais, sur l’ambition, le sens de la vie, la sincérité, le désir... Vous y prodiguez aussi plusieurs conseils. Quel est le sens de cette démarche ? 
 

Effectivement, j’ai toujours fait preuve de réflexivité. Étant également grand lecteur, lorsque je pense être arrivé à une conclusion non-triviale dont je suis confiant, il m’apparaît naturellement l’envie de la communiquer ! Et tous ces sujets (ambition, sens de la vie, sincérité, désir…) sont au centre de ma réflexion.
 

Qu’appelez-vous spiritualité du succès ?
 

Je dirais : envisager le concept de la réussite autrement que par le prisme de l’intellect. En général, il s’agit du processus de mort du mental dans le contexte de la performance.

Je crois que le mental est un excellent outil pour certaines tâches, comme planifier, reproduire et anticiper. En un mot : survivre. Pour tout ce qui est lié à la survie, le mental est d’une grande aide. Notre société est donc naturellement le reflet du mental, puisque nous avons modelé notre environnement grâce à lui, pour nous détacher de la nature et de notre condition primaire, augmenter notre confort et notre espérance de vie.

En revanche, lorsque l’on souhaite dépasser les standards, viser différentes magnitudes et atteindre la paix, il ne faut plus compter sur lui. Il faut même s’en débarrasser, car il n’est qu’un poids qui freine ou empêche la réussite de surgir.
 

Vous fustigez les ruses du développement personnel, les recettes toutes faites, la méthodologie. Selon vous, l’ambition suffit pour réussir, atteindre ses objectifs, être performant... à condition, donc, d’écarter le mental, de le « faire taire ». La pensée commune prône, au contraire, de tout miser sur lui... Très concrètement, comment faites-vous ?
 

Pour faire taire le mental, il s’agit d’abord de se rendre compte de son influence. Pour moi, cette prise de conscience est le produit de beaucoup de lectures et énormément de sincérité dans la démarche. Le Pouvoir du moment présent, d’Eckhart Tolle (j’ai réalisé une vidéo sur ma chaîne YouTube, Ravelkel, à ce sujet), fut d’une grande aide, par exemple.

Maintenant, je crois avoir atteint un certain niveau de vigilance qui me permet de ne plus « manquer » l’influence de mon mental : lorsqu’il m’influence, je m’en rends compte. Pour maintenir cet état, je fais en sorte de m’exposer le moins possible à ce qui le déclenche (actualités, conflits…) et le plus possible à ce qui le pointe du doigt (vérités, méditation…)
 

Sur quel thème portera le prochain essai ?
 

Depuis plusieurs mois, je me consacre beaucoup plus à ma chaîne YouTube. Mon site n’a toujours été qu’un « support à idées » dans l’objectif de faire des vidéos.

Ma dernière vidéo porte sur le lien entre le succès d’Elon Musk et celui de Luffy, héros du manga
One Piece. La suivante a déjà trouvé son titre : « Comment trouver un co-fondateur ? »
 

Quels sont vos mentors ? Quel est votre livre de chevet ?
 

Mon mentor : Kapil Gupta.

Mon livre de chevet : Le Pouvoir du moment présent, d’Eckhart Tolle.
 

Pourquoi avez-vous voulu devenir ingénieur ?
 

Par curiosité intellectuelle, et parce que j’assimilais ce cursus au prestige, ce qui résonnait avec mon ambition !
 

Que retirez-vous de votre vie à Centrale Marseille ?
 

Les relations que j’y ai créées et de solides compétences scientifiques.
 

Quel meilleur souvenir avez-vous de votre école ?
 

De manière générale, j’ai un excellent souvenir de ma première année : l’émulation générée est très enthousiasmante !
 

Quelle a été l’expérience la plus marquante ?
 

La création de ma société Shorten, en césure, et la mise en place du concours Gorgé, qui a été la raison qui m’a poussé à prendre cette décision.
 

Des professeur.e.s vous ont-ils marqué ?
 

Bien sûr, deux notamment : Dominique Henriet, professeur d’économie, et Magali Tournus, maître de conférences en mathématiques appliquées.
 

Auriez-vous un message à faire passer aux élèves ingénieurs ?
 

Réfléchissez à la contribution que vous apportez au monde… La planète brûle, et beaucoup d’entre nous choisissent de rejoindre des carrières décorrélées de cet état de fait, voire qui l’amplifient. Pourtant, s’il y a bien des cerveaux capables de contribuer à cette cause qui me semble être la plus importante du siècle, ce sont ceux des ingénieurs des grandes écoles.
 

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Plus de deux milliards de dollars collectés par 300 jeunes gens

Les 300 personnalités primées par le septième classement Forbes 2022 30 Under 30 sont présentées par le magazine états-unien comme des visionnaires, des innovateurs, des persévérants. En cumulé, ils ont collecté plus de deux milliards de dollars pour leurs entreprises : plus du double du montant réuni par les lauréats de l’année précédente. 
 

Le classement en chiffres :
 

  • 30 pays : principalement le Royaume-Uni, l’Allemagne, la France, la Suède, l’Espagne et la Suisse.
  • 10 secteurs d’activités : dont les sciences et la santé, le sport, l’industrie, la technologie, le commerce, l’art et la culture, la finance, les médias et le marketing...
  • 27 ans d’âge moyen
  • 59 % de fondateurs ou cofondateurs
  • 58 % d’hommes
  • 62 heures de travail par semaine, en moyenne. 

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