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Des moyens et des réussites pour la physique quantique à Centrale Méditerranée

Une théorie qui est loin d’avoir dévoilé tous ses mystères, un nombre croissant d’étudiants qui souhaitent s’y former, des fonds européens et français pour soutenir l’enseignement, la fascinante physique quantique ouvre des perspectives enthousiasmantes dans notre école. Thomas Durt, enseignant-chercheur en physique quantique à Centrale Méditerranée et à l’Institut Fresnel, fait le point sur les succès récents dans ce domaine.
portrait thomas durt

Comment définissez-vous la physique quantique ? Quels sont vos domaines de recherche ?

La physique quantique c’est l’étude du tout petit, de l’atome, du photon. Un « quantum » une quantité insécable. Mes travaux portent sur l’optique quantique, l’information quantique et les fondements de la théorie quantique. Ils s’inscrivent naturellement dans le Grand Plan Quantique France 2030. Sur notre territoire local, ce plan s’adresse aussi à des chercheurs en spintronique, métrologie quantique, nanophysique ou informatique quantique. Nice, où l’école se développe, possède une forte composante en optique quantique. Centrale vient d’ailleurs de recruter un nouveau maître de conférence en physique quantique sur place.


Le projet QuanTEdu-France, dont Centrale Méditerranée est partenaire et dont vous êtes le porteur, a été sélectionné dans le cadre de l’appel à manifestation d’intérêt (AMI) Compétences et métiers d’avenir en. Pouvez-vous nous en dire plus ?

QuanTEdu-France est axé sur l’enseignement et la formation en physique quantique plus que sur la recherche. L’objectif est de former des techniciens quantiques de haut niveau. Le financement de l’AMI nous permet de réaliser la quasi-totalité de notre projet : impulser des mobilités étudiantes, proposer des cours à distance, superviser une thèse de doctorat, doter la plate-forme photonique de « kits » quantiques de haut niveau (intrication entre paires de photons, interférences à photons uniques, etc.), organiser des écoles d’été, etc. Nous avons aussi créé de nouveaux enseignements au sein de l’École, qui seront mutualisés avec les cours de formation doctorale. Cette année, quatre élèves ingénieurs en alternance recherche ont préparé de nouveaux cours et des TP qui seront utilisés dès l’année prochaine pour les futurs étudiants.


Fin avril 2023, le projet de recherche Artemis (moleculAR maTerials for on-chip intEgrated quantuM lIght sourceS) a également obtenu un financement européen. Vous êtes membre du consortium d’Artemis pour Centrale Méditerranée et l’Institut Fresnel. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Ce projet regroupe des expérimentateurs dont certains développent de nouveaux matériaux fluorescents, en particulier des émetteurs de photons uniques et/ou de paires de photons. D’autres sont chargés de la caractérisation optique de ces nouvelles sources lumineuses. Ma contribution est reliée à l’idée de filigrane quantique : le traçage quantique (pour éviter les fraudes et contrefaçons) et la recherche autour de nouvelles sources fluorescentes avec rapport signal bruit amplifié par l’intrication quantique.
Les sources développées dans le cadre du projet Artemis (fluorophores) réagissent de manière spécifique (en émettant des photons de couleurs déterminées) à des excitations lumineuses spécifiques (à savoir un laser de couleur bien déterminée elle aussi). Il est très difficile de copier et/ou simuler ces propriétés optiques (car il s’agit de molécules complexes difficiles à produire en laboratoire).

En outre, dans certains régimes purement quantiques (couplage fort et/ou émission à deux photons, il est impossible de simuler ces matériaux par des approches classiques. En faisant des mesures à 1 ou 2 photons, l’on peut donc certifier que le fluorophore que nous observons est bien celui qui a été produit par mes collègues. En travaillant dans un régime quantique où on mesure les photons un par un, on peut améliorer drastiquement le rapport signal-bruit en post-sélectionnant les paires de photons émis en coïncidence. Certaines mesures seront réalisées à l’institut Fresnel, par un thésard financé par le projet.

 

Quelles sont les applications concrètes de ces travaux de recherche ?

Cette approche ouvre de nouvelles perspectives en matière de marquage d’œuvres d’art et de produits de luxe dont on veut éviter la contrefaçon. Un institut à Florence, sponsorisé par les carabinieri et les services de lutte contre le crime organisé s’est par exemple spécialisé dans ces techniques qui permettent de tracer des œuvres d’art et/ou des objets de luxe et de limiter le trafic de copies.

Il est courant actuellement d’utiliser des séquences d’ADN pour le marquage, mais le séquençage est long et couteux, en outre l’ADN se dégrade avec le temps. Notre technique de filigrane quantique permettra de surmonter ces problèmes.

Une autre application dans laquelle des fluorophores sont utilisés concerne la détection de virus de type covid. On prélève un peu de sang, que l’on dilue et met en contact avec des anticorps spécifiques (réagissant à telle ou telle maladie) auxquels sont attachés des fluorophores. En détectant optiquement la lumière émise par ces fluorophores, on peut certifier que le sang est infecté.

 

Vous avez également co-signé deux articles parus dans la prestigieuse revue Nature ?

En effet, il s’agit de deux articles qui synthétisent la somme des recherches de pointe effectuées avec des états de lumière à un photon. Ces articles regroupent les contributions d’experts de spécialités diverses car le champ d’applications est très large. Le premier article concerne les « applications d’un seul photon dans la météorologie quantique, la biologie et les fondements de la physique quantique ». Le second traite des « applications d’un seul photon dans la communication quantique ». En ce qui me concerne je me suis surtout impliqué dans les aspects fondamentaux de ces recherches, en collaboration avec un confrère autrichien, Gregor Weihs.

 

Comment expliquez-vous l’engouement actuel autour des sciences quantiques ?

Le quantique est certes dans l’air du temps. Il existe une part de mystère : personne ne comprend véritablement le sens profond de la théorie qui se traduit de manière élégante au niveau mathématique, mais défie souvent l’intuition classique. En outre, les technologies actuelles font largement appel au quantique : GPS, internet, semi-conducteurs, lasers, téléphonie mobile, entre autres. Enfin, les aspects étranges, tels que l’intrication, sont fascinants.


Aux dithyrambes, vous préférez toutefois la prudence...

Les technologies quantiques suscitent beaucoup d’espoir. La littérature officielle et médiatique est aussi enthousiaste que confiante dans les chances de succès du futur ordinateur quantique, en particulier, mais je ne suis pas certain que tous les résultats qui sont annoncés çà et là seront atteints... Je suis même assez sceptique en raison d’un gros problème qui s’appelle la décohérence [ndlr : les qubits sont très instables. Toute variation environnementale (champ magnétique, température, vibration, interaction non contrôlée entre les qubits) peut leur faire perdre leurs propriétés quantiques. La décohérence est donc source d’erreurs dans les calculs effectués par un ordinateur quantique.]

Pour autant, je pense que, dans ce genre de programme, la sérendipité jour un rôle important. Je pense aussi que nous devons rester modestes dans nos annonces, car il est difficile d’affirmer ce que nous ferons dans cinq ans, par exemple. Différents prix Nobel s’y sont essayés. En vain. Aussi, nul ne saurait affirmer avec certitude si tous les efforts actuellement déployés donnent un jour des résultats.

Ce qui est important, c’est de donner aux chercheurs les moyens de conduire leurs recherches.

 

Du 3 au 5 juillet 2023, Thomas Durt co-organise à Paris une conférence internationale pour fêter le centenaire de la thèse de Louis de Broglie.  Le but de la conférence sera de commémorer les 3 articles de Broglie sur les ondes de matière parus en 1923 par 3 journées d’exposés et de discussions sur les aspects contemporains des ondes de matière.

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