Françoise Perrin : « Enseigner l’entrepreneuriat, c’est aussi apprendre l’humilité »
Centrale Méditerranée a accueilli une soirée « Entrep’ » en mars ? Pouvez-vous nous la raconter ?
Il s’agissait de la dernière soirée des « Entrep’ » avant le jury final. Au fil de l’année, une dizaine de soirées comme celles-ci sont organisées dans les différentes écoles et universités partenaires. Nous nous rassemblons toujours sur des thèmes liés à la création d’entreprises. Cette fois-là, c’était autour du pitch. D’habitude c’est un travail entre coachs et équipes. Là, c’était entre équipes. Chaque équipe pitchait son projet face à trois ou quatre autres équipes qui commentaient et questionnaient.
Combien d’étudiants centraliens participent aux Entrep’ cette année ?
À Centrale Méditerranée 13 centraliens en cursus ingénieur sont engagés dans la compétition : 11 en 3e année, 1 en 2e année et 1 en 1re année. Ils sont répartis par équipe, quatre d’entre eux sont porteurs de projet, deux filles et deux garçons. Je remarque que nous comptons beaucoup de filles cette année, elles sont huit sur ces 13 !
Au total, 85 étudiants, tous établissements confondus sont engagés, soit 24 équipes au total. Les équipes sont pluridisciplinaires, c’est enrichissant, mais ce n’est pas simple ! C’est un très bon apprentissage du management pour nos élèves ingénieurs.
Outre les « Entrep’ », quelles sont vos missions autour de l’entrepreneuriat dans l’École ?
Mon travail consiste dans le fait de donner envie de se lancer aux élèves qui ont la fibre entrepreneuriale en eux, de montrer que c’est une voie possible. Je représente également l’école dans l’écosystème de la création d’entreprise, je gère l’alternance entrepreneuriat au S6,7 et 8 ainsi que la filière métier du même nom au S9.
Et vous, vous l’avez cette fameuse fibre entrepreneuriale ?
Quand j’étais étudiante, j’étais à 10 000 lieues d’avoir la fibre, je n’en avais pas conscience. Après avoir été diplômée, j’ai travaillé un an en bureau d’études dans une petite structure. C’est une expérience qui s’est mal passée, j’ai quitté cette entreprise rapidement. Après quelques mois passés en Angleterre, j’ai suivi un cursus en gestion d’entreprise à l’IAE d’Aix-en-Provence (Institut d’Administration des Entreprises).
Mais au fond, ce que je voulais, c’était travailler dans la formation, je voulais allier formation et technique. Finalement, par un copain commun j’ai rencontré un entrepreneur qui créait sa boîte et qui n’avait pas envie de le faire seul. Parce que je n’avais pas aimé mon expérience dans une petite entreprise, je lui ai proposé de l’aider jusqu’à la création « mais pas plus ». Finalement, on s’est bien entendu et j’y suis restée huit ans !
Comment avez-vous repris contact avec l’École ?
Cette entreprise avait été créée au sein de la pépinière d’entreprises qui était dans La Jetée à ce moment-là (elle est désormais en face de l’École, NDLR). Ainsi, j’avais la possibilité de revoir mes anciens professeurs assez facilement.
Au bout de huit ans, j’ai saisi l’occasion de leur dire que je souhaitais quitter ma boîte et que je voulais travailler dans la formation. Eux étaient à la recherche d’une personne pour parler de création d’entreprise aux élèves ingénieurs. Et c’est comme ça que j’ai été recrutée en 1998.
Dès que je suis arrivée, j’ai eu l'opportunité de créer la filière métier entrepreneuriat. Il y a eu aussi pendant peu de temps un mastère spécialisé sur la création d'entreprises innovantes, centré sur le changement d’échelle, que j’ai piloté. Il s’adressait notamment aux entrepreneurs qui devaient à un certain moment de leur développement, structurer leur entreprise. Cette formation n’existe plus, mais c’est toujours un thème que je pense être d’actualité. L’alternance entrepreneuriat et le Deck ont été créés ensuite.
Quelles évolutions avez-vous vues depuis 1998 ?
Il y a un engouement pour l’entrepreneuriat depuis 8 ans environ. Et de fait il y a beaucoup plus de nos étudiants qui franchissent le pas. Mais très peu créent à la sortie de l’école. Ils créent plus tard. C’est une des caractéristiques de ce travail, il faut être humble. Il faut accepter de ne pas voir le résultat de notre travail, parfois on apprend que tel ou telle ancien.ne élève a créé une entreprise, parfois on ne le sait pas. D’ailleurs, nous essayons grâce à l’AIECM d’entretenir une liste d’élèves entrepreneurs. J’en profite pour lancer un appel, si vous avez créé une entreprise, envoyez-nous un email pour être ajouté à notre fichier ! Nous sommes toujours à la recherche de témoignages, de futurs mentors...
Aujourd’hui, je pense qu’on a passé le pic d’engouement autour de l’entrepreneuriat. L’intérêt pour ce domaine se stabilise un peu. J’en parlais récemment avec l’incubateur de la Belle de mai qui fait le même constat.
Du côté de la féminisation de l’entrepreneuriat, je n’arrive pas à savoir si cette année, le grand nombre de filles est représentatif, si c’est une tendance qui va perdurer ou non. Je trouve quand même que globalement, le nombre de filles qui se lancent dans l’entrepreneuriat à Centrale a augmenté, mais il reste faible. Si je compare avec le début des années 2000, même 2010, dans la filière métier il y avait une ou deux filles sur vingt élèves. Il y a quand même une évolution.
Pour le 8 mars, journée internationale des droits des femmes, plusieurs initiatives entendaient mettre en avant les femmes entrepreneures, notamment sur LinkedIn où des chefs d’entreprises reconnus ont prêté leur compte à des entrepreneures pour qu’elles puissent gagner en visibilité. À votre niveau, à Centrale, voyez-vous des freins à l’entrepreneuriat féminin ?
J’ai pu constater certaines différences qui tendent à se lisser au fil des années parce que l’entrepreneuriat se démocratise. Mais il est vrai que des études scientifiques ont montré de vraies différences entre hommes et femmes dans la manière d’entreprendre. Pour ne citer qu’un exemple : la relation avec les banques n’est pas la même pour les entrepreneures et les entrepreneurs. Les femmes ont notamment tendance à demander moins d’emprunts, ce qui peut correspondre à un développement plus lent, mais moins risqué … mais évitons les généralités.
À l’École, une fois que nos élèves sont lancés, selon moi, il n’est pas forcément utile d’accompagner différemment garçons et filles. Ce qui est sûr, c’est qu’il faut en amont, encourager, montrer aux filles et aux femmes qu’elles peuvent se lancer dans cette voie. Cela passe par beaucoup de communication et d'exemples. Pour le moment, je pense qu’il est encore nécessaire que des associations, des lieux autour de l’entrepreneuriat féminin existent.