École

Devoir de mémoire et construction de l’avenir, un partenariat historique avec le Camp des Milles

Centrale Méditerranée et la Fondation du « Camp des Milles » mettent en place depuis 2022, un partenariat pédagogique qui encourage les réflexions sur la citoyenneté, l'histoire et la mémoire.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, le Camp des Milles a été un lieu d’internement, de transit et de déportation vers Auschwitz. Grâce à son volet réflexif inédit, il permet aujourd’hui de sensibiliser le grand public, y compris les jeunes ingénieurs, aux enjeux démocratiques passés et actuels, en étudiant le terreau et les processus qui mènent aux pires génocides…
Intérieur du Camp des Milles

Une journée qui relie passé et présent

Le 10 novembre 2023, il est 8h, 6 bus partent de Marseille direction Aix-en-Provence avec à leur bord, 298 élèves-ingénieurs de deuxième année. Ils vont passer une journée grand format au Camp des Milles, le seul camp français d’internement et de déportation encore intact.

Au programme : visite guidée, conférence, témoignages de la vie dans le camp et ateliers.

C’est la deuxième édition de cette journée très attendue. En 2023, se sont ajoutés au programme la prise en charge des transports et des repas par l'École ainsi qu’un groupe de visite en français simplifié (plébiscité par les élèves internationaux). Ces améliorations ont été rendues possibles par les retours d’expérience de la première édition du 14 octobre et 21 octobre 2022. Le fait de se déplacer et de changer d'environnement donne déjà à l’événement un cadre particulier.

Dans l’enceinte de l’imposant bâtiment de 15 000 m², les dix groupes d’élèves sont accompagnés par une médiatrice scientifique et culturelle qui leur retrace l’histoire du lieu et notre Histoire à tous.

Entre 1939 et 1942, le Camp des Milles connaît l'internement de personnes de statuts divers, résistants, antifascistes ressortissants du Reich, qui venaient se réfugier en France.

À partir d’août 1942, le lieu devient finalement une antichambre d’Auschwitz avec la déportation d’environ 2000 hommes, femmes et enfants juifs.

Durant toute cette période, le camp est resté sous autorité française (3e Reich, puis régime de Vichy).  

Dans ce tristement célèbre bastion de l'oppression, se sont déroulés des faits tragiques mais aussi des actes de résistance remarquables, y compris par l’art et la création. Le lieu a en effet abrité de nombreux artistes et intellectuels, on y trouve toujours les traces de leur passage sous forme de textes, de sculptures, de photos de pièces de théâtre…

« Ce n’est pas que triste le Camp des Milles » explique Laetitia Piet, enseignante et responsable de l'unité d'enseignement Sciences Humaines et Sociales. Au-delà de la charge émotionnelle inévitable, le lieu donne matière à réfléchir sur notre présent et les leçons que nous pouvons tirer de l’histoire.

La Shoah mais pas que…

La visite du Camp des Milles prend place dans l’Unité d’Enseignement de Sciences Humaines et Sociales et est prolongée par un cours sur les mécanismes psychosociaux qui sous-tendent les dynamiques de groupe.

Au Camp des Milles, il y a justement ce projet scientifique d’explication des mécanismes sous-jacents aux pires génocides, à travers l’analyse comparée de la Shoah, du génocide arménien et celui des Tutsis au Rwanda. Ces lectures croisées dévoilent les ingrédients du processus qui mène au pire : un contexte de crise économique et sociale, le rôle des médias et de la propagande, la désignation des boucs émissaires, les institutions attaquées, la confiscation des pouvoirs et la soumission des masses à l’autorité.…

Pour prendre conscience de la puissance de ces mécanismes psycho-sociaux, les élèves ont également participé à un débat mouvant, à partir d’extraits de l’excellent film « La vague » de Dennis Gansel. Une manière de répondre à cette question que nous nous sommes toutes et tous posée : « si j’étais né en 40 aurais-je été du côté des collaborateurs ou des résistants ? ».

Le débat mouvant confronte chaque individu à une réflexion sur ce qu’il est prêt à accepter lorsqu’il s’agit de prendre part à une action collective et l’emmène à réaliser que la construction des liens communautaires peut déboucher parfois sur une relation de domination et de rejet de celles et ceux qui ne font pas partie du groupe et qui n’en partagent pas les codes.

Un guide a également adapté la visite pour un groupe d’élèves internationaux. Il leur a présenté l’expérience de Milgram, cette étude de psychologie sociale menée par Stanley Milgram en 1963 pour étudier le comportement humain face à l’autorité et la soumission à celle-ci. L’expérience teste la propension des individus à obéir, même si cela implique d’infliger des souffrances à autrui.

Un élève du groupe raconte « J’ai vraiment aimé que la visite évoque les processus et mécanismes qui ont mené l’humanité vers ses pires heures et horreurs et ceci, au-delà de la Shoah bien que le lieu lui soit dédié. Pour moi, en tant qu’Africain et Humain, ça m’a vraiment touché. »

Extérieur du Camp des Milles

Prévenir, agir / sensibiliser et résister

 Nous l’avons vu, en se saisissant de l’histoire du Camp des Milles, en visitant l’espace réflexif interdisciplinaire et plurigénocidaire et en participant aux ateliers sur les mécanismes humains, individuels, collectifs et institutionnels, les élèves ont pris conscience des engrenages qui mènent à des comportements de masse qui dépassent l’entendement.

Ils ont aussi découvert qu’une minorité parvient à échapper à ces dynamiques de groupe puissantes et à entrer en résistance. Cette résistance nous apprend que :

  • À toutes les étapes, des révoltes face à l’oppression sont possibles.
  • Ces résistances sont toujours plus efficaces à la racine du processus. « Attention il est si tôt, trop tard ».
  • Les résistances convergent.
  • « Ne rien faire, c’est laisser faire ».
  • La vérité n'est pas nécessairement du côté du plus grand nombre.
  • L’esprit critique est essentiel…

“C’est important de ne pas laisser les élèves dans un état de sidération et de leur donner aussi des éléments positifs et actionnables pour se dresser face aux injustices. À l’issue de la journée, nous leur avons demandé ce qu’ils souhaiteraient mettre en place, pour eux-mêmes et pour l’École.” rappelle Laetitia.